lundi 8 janvier 2018

Au Jardin d'acclimatation

Daniel Hernandez Morillo, El admirador, 1883

– Ça t’ennuierait qu’on retourne aux lions ?
– Encore ! Mais ça fait déjà trois fois !
– Elles me fascinent ces grosses bêbêtes, qu’est-ce tu veux !
– Bon, mais une dernière fois alors ! Après on rentre.

– T’as vu ? On dirait qu’il nous attendait, celui-là. Qu’il savait qu’on allait revenir. Non, mais comment il nous regarde ! Surtout moi ! C’est de la folie ! Ça ferait presque peur. Tu crois qu’ils savent qu’on est des femmes dans leurs têtes d’animaux ?
– C’est vrai qu’on serait en droit de se poser la question.
– J’en ai vu faire un, un jour, avec une lionne. Il lui mordait la nuque en même temps. Ce qu’avait pas l’air de lui déplaire du tout à elle. Pourquoi tu ris ?
– Pour rien.
– Mais si, dis !
– Parce que c’est quelque chose qu’il me fait aussi quelquefois pendant, Victor.
– Il te mord !
– Oui, enfin, pas comme un sauvage non plus ! Il me soulève les cheveux et il me prend la nuque entre ses dents. Et puis il serre. Un peu. Pas trop. Enfin, ça dépend.
– Ce qui veut dire qu’il se met derrière toi, alors, quand vous le faites !
– Ça, forcément ! Oh, mais pas toujours, hein ! On s’y prend aussi autrement. On a des tas de façons en fait.
– Oui, oh, ben nous, avec Louis, ça se passe toujours pareil.
– Lui dessus et toi dessous, j’parie ! Je pourrais pas, moi ! Je m’ennuierais trop. Tu t’ennuies pas ?
– Un peu quand même, si, mais bon !
– Dis-lui !
– Je m’y risquerais pas. Il a des principes, Louis. Et des conceptions très arrêtées. Sur tout. Mais sur ça en particulier. Je te dis pas quelle opinion il aurait de moi après !
– Franchement, je préfère être à ma place qu’à la tienne. Et de loin !
– Il a quand même plein de qualités. Et puis il est gentil.
– Victor aussi, il est gentil ! Ça l’empêche pas d’avoir toutes sortes d’idées. Et de m’en faire profiter.
– Quoi, par exemple ?
– Il y a quelque chose, surtout, mais ça va te paraître bizarre.
– Dis !
– Je sais pas.
– Mais si, dis !
– Il me donne des claques. Sur les fesses.
– Des fessées, quoi ! Fort ?
– Encore assez, oui.
– Et ça te fait quoi ?
– Du mal. Et du bien en même temps. Du bien parce que ça fait mal justement. Et ça me donne envie de lui. Beaucoup plus que n’importe quoi d’autre.
– C’est drôle que tu me dises ça ! Parce que moi, il y a un rêve que j’arrête pas de faire. Presque toutes les nuits. Plusieurs fois par nuit, même, souvent.
– Eh bien, raconte !
– Je suis au cirque. Dans les tout premiers rangs. Il y a un jongleur, dans une cage, qui fait grimper trois lions sur des escabeaux. Qui les fait passer dans des cercles de feu. Qui met sa tête dans leur gueule. Qui réclame, à un moment, qu’un spectateur vienne le rejoindre. Personne ose. Mais moi, si ! J’y vais. Dans la cage. Avec les lions. Que je vois de tout près. Ils sont beaux. Ils sont forts. Lui, il brandit son fouet. Il le fait claquer dans ma direction. Il veut que je me mette toute nue, là, devant tout le monde. J’ai honte, j’ai horriblement honte, mais j’obéis. Je le fais quand même. Alors, il me fouette. Pour me punir. Il me traite de dévergondée, de sale petite vicieuse. Et il cingle. De plus en plus fort. Ça me fait danser sur place. Ça me fait crier. Tout le monde me regarde. Tout le monde m’entend. Il y a des gens qui rient. D’autres qui font des réflexions tout fort. Et j’ai peur. J’ai peur qu’on se rende compte que c’est en train de venir. Qu’il monte mon plaisir. Qu’il va me submerger. Ça me réveille. En sursaut. Je suis toute moite. Je suis toute trempée. Avec le cœur qui bat à toute allure.
– Et ?
– Et… Ben, oui ! Et… Il dort comme un sonneur, Louis. Rien le réveille jamais.

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