jeudi 16 juin 2016

Escobarines: Délit de fuite (1)

15 mai 2071


Le juge se penche sur son dossier…
– Je vous lis, pour mémoire, l’article 4 du Code de la Répartition : « À sa majorité, chaque citoyen se voit affecter, par décision administrative, un lieu de résidence dont il lui est interdit de s’éloigner plus de quarante-huit heures sans une autorisation expresse des autorités compétentes. Tout contrevenant s’expose aux sanctions prévues par le Code Maximus (articles 214, 356, 621 et sq.) » Or, quand les forces du maintien social vous ont arrêtée, vous aviez quitté votre domicile depuis plus de deux mois, sans le moindre exeatur. Est-ce exact ?
– Oui.
– Pour quel motif ?
– J’étouffais. J’avais besoin de changer d’air.
Il hausse les épaules.
– Changer d’air ! Votre comportement tombe à l’évidence, vous en conviendrez, sous le coup de la loi. Vous allez donc être remise entre les mains de la responsable du district dont vous dépendez. Elle prendra à votre endroit les dispositions qui s’imposent. Allez, affaire suivante !

Elle jubile… Elle jubile littéralement…
– Tiens, tiens ! Valéa ! Alors comme ça on est revenue au bercail. Enfin ! Ça fait plaisir de te revoir… Si, c’est vrai, tu sais ! Même si tu ne t’es pas toujours montrée à mon égard aussi accommodante que je l’aurais souhaité… Mais on ne va pas revenir là-dessus. Le passé, c’est le passé. Parlons plutôt du présent. Et le présent, c’est qu’on m’a chargée de te remettre dans le droit chemin. Et de faire en sorte que tu ne sois pas tentée de récidiver. Je vais m’y employer. Et j’y parviendrai. J’y mettrai le temps qu’il faudra, j’utiliserai les grands moyens si nécessaire, mais j’y parviendrai. Je te jure que j’y parviendrai… En attendant, on va te ramener dans ta cellule… Demain il fera jour…

– Alors ? Bien dormi ?
– Pas vraiment, non.
– On s’en fiche ! Complètement… Bien… Alors programme du jour… Travaux d’intérêt collectif… Tu vas aller nettoyer ton quartier… Qui en a bien besoin… Avec toutes ces feuilles qui ne cessent de tomber… Tout le monde pourra ainsi constater de visu que Valéa Groyard est bien revenue à la case départ… Que ce ne sont pas seulement des bruits qui courent… Et en tirer les conclusions qui s’imposent… À savoir qu’on ne peut pas impunément braver les lois… Qu’on doit nécessairement finir par s’y soumettre… Bon gré, mal gré…

Il y a une autre fille dans la camionnette. Que je connais de vue. Qui raconte. Elle s’est, tout comme moi, « évadée ». Besoin de voir d’autres horizons. De vivre. L’escadron vert l’a rattrapée au bout de quinze jours.
On nous fait descendre. Juste devant la porte de « mon » immeuble. On nous donne des balais.
– Au travail !
La première à s’approcher, c’est Kamline, ma voisine du dessus. Elle est descendue exprès. Je mettrais ma main à couper qu’elle est descendue exprès.
– Valéa ! Ben alors ? Où t’étais passée ? On s’inquiétait, nous ! « Pourvu qu’il lui soit pas arrivé quelque chose ! » On a signalé ta disparition au ministère du maintien social du coup. On a bien fait. La preuve ! Ils t’ont retrouvée…
Et puis Valtaine…
– Eh, ben dis donc ! C’est bien la peine d’avoir fait toutes ces études pour, au bout du compte, en être réduite à passer le balai…
Et aussi Carmone…
– À force de rien vouloir faire comme tout le monde, tu vois où ça t’a menée… Je t’avais assez prévenue… Alors viens pas te plaindre !
D’autres encore… Beaucoup d’autres… Tellement d’autres…

– Vous n’avez guère avancé toutes les deux, à ce qu’il paraît…
– C’est que…
– Vous avez passé le plus clair de votre temps à papoter… Je sais, oui…
– C’est pas de notre faute… C’est parce que…
– Ben, voyons ! Bon, mais on va faire en sorte que vous preniez désormais votre travail beaucoup plus à cœur… Une bonne fessée que les gardiennes vont vous administrer sur le champ… C’est radical, vous allez voir ! Allez ! On se déculotte et on se dépêche ! Allez ! Allez ! Plus vite que ça !
Elles sont deux. Elles nous empoignent. Ça s’abat. À toute volée. Ça dure. Une éternité…

– Faites voir ! Montrez ! Parfait ! Ça va vous à ravir… Elles connaissent la musique… Et vous la chanson… C’est un vrai plaisir que de vous l’entendre pousser… Faudra remettre ça ! Ah, si ! Si ! Et sans tarder… En attendant, on va vous ramener à vos balais… Que vous allez, j’en suis sûre, manier avec beaucoup plus d’enthousiasme…

Elles sont revenues. Kamline… Valtaine… Carmone… Elles passent… Elles repassent… D’autres aussi… Beaucoup d’autres… On chuchote… On se pousse du coude… On cherche nos regards… Et puis des hommes… De plus en plus d’hommes…

(à suivre)

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